vernissage le 24 octobre à 19h – ENTREE LIBRE
Venez découvrir les oeuvres réalisées par Simon Augade et Romain Lepage dans le cadre des résidences arts-plastiques mises en place à l’Usine Utopik. L’exposition présentera leur travail respectif durant un mois et demi.
Simon Augade
Né en 1987 à Bagnères de Bigorre
Vit et travaille à Lorient
« Je cherche à repousser les limites de l’appréhension de l’espace en sortant du cadre normatif de la société. » Sergio Prego*
Vues dans leur ensemble, les installations de Simon Augade réalisées depuis sa sortie de l’Ecole des Beaux-Arts de Lorient où il a passé cinq ans, permettent de saisir l’homogénéité nuancée de sa démarche en même temps que le dialogue récurrent entre le géométrique et l’informel, la ligne (comme norme) et le débord, les contraintes intérieures et le besoin irrépressible de les transgresser. Il fait sien l’objectif du sculpteur Gordon Matta-Clark, un des fondateurs du concept d’anarchitecture, qui se réfère lui-même au mouvement dadaïste des années vingt : il s’agit d’opposer une attitude alternative aux structures urbaines ou mentales par une perturbation imaginative de la convention comme force essentielle de libération. Il joue aussi de concepts dont il explore méthodiquement les différents champs dans le dictionnaire et qui deviennent en quelque sorte des « mots-clés » pour lire son œuvre tels : barricade, limite, norme ; porte, passage, seuil, franchir ; concret, contact, solide, confronter ; croissance, expansion, extension… qu’il va tenter de concrétiser.
C’est ainsi que dans l’exécution précaire et éphémère de ses installations ou « sculptures d’assemblage » il va traduire cette dualité, choisissant souvent comme repoussoir (il ne s’agit pas de choix esthétique) un bâtiment existant ou qu’il construit sommairement lui-même, dont la finalité, réelle ou virtuelle, répond à une convention de fonctionnalité, dont l’un des bâtiments de la Cité Radieuse conçue par Le Corbusier pourrait être un exemple : en fait une « machine à habiter » qui tue les élans de l’imagination et les forces mentales en assurant un confort de bon aloi rendant l’utilisateur passif. A cette façade mortifère il oppose un amoncellement de matériaux – généralement des planchettes de bois aggloméré ou morceaux de vieux meubles au rebut symbolisant la vie quotidienne matériellement et mentalement – qui vont parasiter par leur expansion et leur prolifération l’élément premier. Parfois, pénétrant dans l’habitacle, notamment dans le Bureau de la Direction, froid et neutre, il en perturbe l’ordre en recouvrant d’un « filet » de lamelles cloutées l’ensemble du mobilier… Impressionné par le Merzbau de Kurt Schwitters, où l’artiste allemand accumulait autour d’une colonne de son atelier, dans une œuvre au mouvement ininterrompu (« l’œuvre de sa vie ») des objets hétéroclites d’art et de « non-art », qui se développait sur deux étages comme un organisme vivant, Simon Augade se plie à des contraintes diverses : portes obstruées, parois résistantes, seuils infranchissables et autres obstacles. Son discours aborde le fait social lorsqu’il donne son interprétation personnelle des « hétérotopies » du philosophe Michel Foucault, des lieux marginaux, qu’ils soient du domaine de l’esprit ou de l’habitat : non sans humour il apporte encore une fois sur la Place du Parlement de Rennes une montagne de planches de bois colorées et autres débris provenant de bidonvilles qu’il expose en plein centre sous la forme d’un (faux) cube qui paraît s’enfoncer dans le sol. Contrairement à la Pyramide du Louvre, sobre et transparente, de Leoh Ming Pei qui veut refléter les nuages et les étoiles sans porter atteinte à l’emblématique palais, le « cube » de notre artiste, par sa confrontation provocatrice avec un bâtiment répondant à tous les canons de l’architecture institutionnelle de l’époque, veut attirer l’attention sur ce qu’on ne veut pas ou plus voir. A la fibre sociale s’ajoute l’expression d’une préoccupation d’ordre écologique : contre un muret situé en bord de plage, surmonté à quelque distance d’une ligne de pins parasols, une masse informelle de brisures de bois joue doucement du mouvement de l’eau (c’est la marée haute), se reflétant près des galets vus en transparence… A marée basse, ce n’est plus qu’un amas de bois mort semblant s’éjecter de la bouche d’égout. Cette idée de double face, de masque, se retrouve dans cette sculpture où un toit à deux pans, sobre et neutre, semble vouloir domestiquer un fatras de lattes qu’il ne peut contenir…
Dans la réalisation de ses sculptures-installations, l’artiste s’investit tout entier dans un corps à corps très physique, souvent risqué, « mettant parfois, avoue-t-il, la barre un peu haut » dans sa volonté d’agripper l’espace, se faisant tantôt maçon, tantôt menuisier…ou funambule. C’est aussi pour lui une façon de mettre en évidence la précarité, la fragilité, la bancalité, l’éphémérité… de la vie. Il invite le spectateur à s’interroger, à transgresser ses propres frontières pour trouver, dans le combat contre les obscurantismes, … la lumière.
* Sergio Prego : artiste basque espagnol né en 1969
En résidence
Les quatre œuvres réalisées au cours des six semaines de résidence à l’Usine Utopik (la cinquième appartenant à une exposition précédente) – installation, sculptures ou dessins – se complètent parce qu’elles donnent un point de vue général sur la démarche de l’artiste. La plus imposante, la plus ambitieuse aussi, cette maison noire, minimaliste, sans aspérité, symbole d’un habitat construit et figé, est parasité par un amoncellement de morceaux de bois reliés entre eux, qui semble s’accroître comme un essaim d’insectes : on ne sait pas s’il vient se greffer sur les parois en contestation de cette rigidité où s’il en sort pour la fuir. On peut avoir le même ressenti avec cette petite sculpture (un toit à deux pans recouvrant un tas de morceaux de bois) (Essaim).
Une sculpture particulière, un peu différente de ce que montre habituellement l’artiste, suscite notre attention. De loin elle suggère la calebasse de résonance de quelque instrument traditionnel ou rustique avec un manche où l’on pourrait fixer des cordes… A y regarder de plus près, on comprend que l’artiste a réalisé deux objets bien distincts qui ne se complètent pas mais se confrontent : la « calebasse » peut être une sorte de toupie, de fausse sphère – la forme composée de petits morceaux de bois à peu près égaux est très travaillée – dont le mouvement bancal est interrompu par le « manche », sorte de béquille qui rectifie l’équilibre.
L’artiste, par ce travail concret veut « tester » les notions de pesanteur, d’équilbre, de déplacement du centre de gravité. Mais c’est aussi une métaphore qui désigne une forme d’habitat périphérique (le « manche ») qui cherche à se greffer, sans y parvenir, à un centre ville lisse et impénétrable… (Centre de gravité)
Après avoir « testé » la pesanteur, l’artiste teste la légèreté dans une forme « aérienne » : c’est une longue « langue » qui envahit l’espace sous le plafond, construite en lattes de bois reliées entre elles pour permettre la sinuosité inquiétante de se dérouler comme un seul organisme. L’artiste lui-même est amené à tester ses propres qualités d’équilibre pour la suspendre … (Langue de bois)
Enfin, c’est l’heure de la pause ! Comme il le fait souvent, Simon Augade joue avec les mots. Dans une série de linogravures il associe un mot et un dessin très simple, très sage, qui ne correspondent entre eux qu’à condition d’avoir remplacé quelques consonnes ou syllabes : tréteau-trop tard, chauffeuse-faucheuse (mort), vague d’hoclousai-vague d’Hokusai (allusion à un célèbre tableau du peintre japonais)…Mais derrière l’anecdotique ou l’anodin, on perçoit une certaine gravité dans le choix des thèmes….
Romain LEPAGE
Né en 1990 à Saint-Lô
Vit et travaille à Caen
« C’est presque insulter les formes du monde de penser que nous pouvons inventer quelque chose ou que nous ayons même besoin d’inventer quoi que ce soit. » Richard Burgin
Il y a maintenant un peu plus d’un an que le jeune artiste se confronte au monde de l’art en pleine autonomie. Fortement encouragé dès les années de lycée par son professeur Bruno Dufour-Coppolani, agrégé d’histoire de l’art et artiste plasticien lui-même qui est resté attentif à la démarche de son élève, il a poursuivi des études supérieures à l’ESAM* de Caen pendant cinq ans dont quelques mois dans le cadre du programme Erasmus à la Muthesius Kunsthochschule de Kiel*. Aujourd’hui il affine son questionnement sur l’art, assimilant la lecture de philosophes et théoriciens d’art qui depuis Nietzsche jusqu’à Arthur Danto ou Walter Benjamin, en passant par l’incontournable Marcel Duchamp, se sont interrogés sur « l’éternel retour » des événements ou, dans le domaine des arts plastiques ou l’architecture sur le renouvellement des formes. S’est posé alors très naturellement le problème de la « réplique » d’une œuvre, de la « copie » ou de la « restitution » (laquelle n’implique pas forcément la redite de la totalité), notions proches que Nathalie Leleu avait bien différenciées selon la finalité du créateur d’origine notamment ou celle de l’artiste qui la « reproduisait ».
Concernant sa démarche, Romain Lepage préfère parler de « reconstruction », après une étape importante où, exploitant son goût pour l’archéologie qu’il tient depuis l’enfance, il s’est fait« chercheur », tel l’historien ou le scientifique, utilisant la même neutralité par rapport à l’objet étudié et une méthodologie particulière de plus en plus maîtrisée pour établir un dialogue avec des passés multiples. Après avoir sélectionné un objet ou un monument, il interroge et analyse les plans, esquisses, dessins et autres maquettes préparatoires et leur réalisation concrète en tenant le plus grand compte de leur histoire et de leur contexte, pour le comprendre de l’intérieur avec une sorte d’empathie pour son auteur, afin de mieux le déchiffrer, le disséquer mentalement, en assimiler les clés (notamment celles des perspectives) qui vont lui permettre de s’en approprier la forme. Choisie dans un corpus qu’il s’est constitué à travers des livres, catalogues, expositions, balades, issue du domaine artistique ou de la culture populaire, voire du quotidien le plus banal, cette « forme » va être le support de l’étape de « reconstruction ».
A partir de là commence la véritable démarche de l’artiste « créateur » dont le travail conceptuel consiste à donner un nouvel avenir plastique à l’œuvre et ne se contente pas de lui attribuer un rôle de transmission. S’il reste au plus près de l’œuvre de référence pour la forme, il prend une distance subjective par l’emploi des matériaux, couleurs, échelles (il emploie parfois du papier millimétré, des unités de mesures anciennes ou normalisées, voire son propre corps ou parties de celui-ci, sans bouder différentes technologies numériques), passe du bi-dimensionnel au volume en interprétant les perspectives ou en ayant recours au logiciel informatique adapté…C’est ce qu’il montre notamment dans sa transposition du Cabinet des Abstraits d’El Lissitzky (1927) qui devient chez l’artiste Les Perspectives du désir (2013), ou la matérialisation en volume de dessins célèbres du peintre florentin Paolo Uccello, précurseur du rendu de la perspective au début du XVè siècle, dans deux pièces réalisées selon deux méthodes différentes : Les obstinations d’Uccello : le vase et le mazzochio (2013) . Dans ces re-visitations il imprime sa marque. De dessin l’élément sélectionné peut devenir volume, de bâtiment devenir meuble. Présenté sur un socle il devient sculpture. L’œuvre d’origine, par son changement de contexte, par son « exposition », change de statut, de finalité, devient objet abstrait et s’inscrit dans un contexte contemporain.
Comme les écrivains classiques qui recouraient avec bonheur à « l’imitation des anciens », comme les musiciens interprètes ou les traducteurs de livres qui imposent leur propre style tout en respectant l’écriture, les consignes et les intentions du compositeur ou de l’écrivain, ou encore ces metteurs en scène de génie qui rajeunissent une pièce de théâtre ou un opéra en jouant sur les nouveaux contextes de la culture et de la création contemporaine, gagnent à juste titre leur statut de « créateurs », Romain Lepage assume pleinement sa démarche conceptuelle : « Les sculptures que je réalise sont des originaux (sic) dont le modèle est un élément réel doté d’un contexte. Cette nouvelle réalisation est elle-même dotée d’un contexte et de sa propre authenticité. »
*ESAM : Ecole supérieure d’arts et medias
*Muthesius Kunsthocheschule de Kiel : école supérieure d’arts plastiques réputée aux environs de Hambourg
En résidence
Comme il l’avait fait l’an dernier à l’échelle d’1/35* à partir du pavillon réalisé par Mies van der Rohe pour l’Exposition Universelle de Barcelone en 1929 (reprise à l’identique sur le même lieu en 1986), Romain Lepage « reconstruit » le Bauhaus, cette icône architecturale de la période « moderniste » construite pour l’enseignement des artistes et architectes dans une certaine conception du « vivre ensemble ». Il s’approprie les dessins, les plans originaux, étudie les maquettes, pour en faire une forme de synthèse dans la démarche inverse de l’architecte puisqu’il part du produit fini. Il réalise alors une sorte de « gros meuble » (cinq mètres de long) en bois mélaminé blanc, matériau très utilisé dans le mobilier contemporain bon marché : une sculpture, selon l’artiste dont la démarche se réfère à l’art conceptuel hérité de Duchamp. Il intitule son œuvre Die neue Linie (La nouvelle ligne) en clin d’œil à une ancienne « pub » du Bauhaus.
Moins ambitieuses sont les deux séries de « dessins » présentés en même temps. L’une à partir de quatre formes géométriques simples, réalisées à l’encre de Chine sur papier, dont il va altérer les angles et contours par un jeu d’ombres portées, suggérant une perspective cavalière. La deuxième série, intitulée Spectre, composée de trois éléments monochromes, est une œuvre minimaliste qui fait référence au Traité d’optique et de couleurs de Johannes Itten. Découpé dans du « medium » (un bois apprêté, très lisse) et peint en blanc côté recto, et côté verso dans une des trois couleurs primaires, jaune, bleu et rouge avec une laque de peinture automobile, brillante, chacun d’eux se reflète dans le mur où il est accroché à une distance de quelques centimètres, provoquant une sorte de halo lumineux.
*exposition Le chapitre des bifurcations, organisée par Vincent Romagny à l’Abbaye aux Dames (Caen, 2013)
Odile Crespy